D’une main, elle décroche la théière du réchaud, alimenté depuis une demi heure par des bouses de yak séchées. Avec une sourire édenté, elle nous tend du thé dans une tasse approximativement lavée. Je rends le sourire, puis goute. Salé. Le thé des nomades du Chantang, les changtangpa, au beurre de yak rance, à un goût salé.
« On dirait une soupe ». Exclamations. « Soup » en ladakhi signifie quelque chose qui m’échappe mais plutôt négatif, voire irrespectueux. Rires, toujours partiellement édentés, suivi de quelques échanges en langue locale. Dans la tente, deux hommes sont en train d’assouplir des peaux d’agneaux, pendant que les femmes nous observent en souriant. Enfin elles l’observent elle : Angelique est d’un blond lumineux et dépasse les hommes d’une demi tête (soit environ 1m75). Parfaitement exotique donc. Il commence a faire frais. Nous tirons une révérence polie, puis nous sortons.
Il est 17h30, nous sommes à Rachung Karu, village de nomades changtangpas situé à 4970m d’altitude. L’air est raréfié. La pression de l’air est environ la moitié de celle du niveau de la mer. Le froid est encore supportable, mais la température va rapidement chuter une fois que le soleil aura disparu. Fin septembre, les nomades seront redescendus dans les vallées, car l’hiver et la neige auront gagné les montagnes. Les nuits sont pourtant déjà glaciales. Le visage est froid, le duvet glacé. Seul le soleil surgissant des montagnes nous donnera l’énergie suffisante pour nous lever. 5000m, c’est haut pour dormir sous une toile de tente. Le Changtang est une terre qui se mérite.
Nous avons installé notre bivouac auprès d’un ruisseau bordé par une fange marécageuse, qui sera entièrement gelée au petit matin. En face, encore éclairé par le soleil, le col que nous franchirons demain, à 5450m. Une promenade. Autour, quelques sommets enneigés, des tentes de nomades, et quelques centaines de chèvres. Rien d’autre.
Durant 6 jours nous traverserons les plateaux du Changtang, terre hostile et désertique dépourvue de traces de civilisation sédentaire, qui pourtant nous a réservé bien des splendeurs, et de belles rencontres. Le lac Tso Kar, bordé par un voile de sel blanc immaculé, enchante par sa beauté exceptionnelle. A sa surface miroitante, troublée parfois par l’envol de quelques oiseaux, les montagnes se reflètent dans un ton bleuté. Inattendue, cette rencontre avec des centaines de yaks, dans une verte vallée, oubliée entre deux cols a 5500m comme une oasis des hauteurs. Au bout du chemin, le bleu intense du lac Tso Moriri contraste avec le blanc des montagnes enneigées et le vert des champs de blé en un nuancier hypnotique. Enfin,cette rencontre magique avec ces nomades, chez eux, dans leurs tentes, restera gravée dans nos mémoires. La vie de ces gens, rythmée par les saisons et les transhumances, est faite de coutumes ancestrales et d’un artisanat à base de laine. Le froid, le vent et l’effort ont buriné leurs visages, mais pas leurs sourires ni leur hospitalité.
Ce trek du Changtang est sans doute un des plus beaux treks que nous avons pu réaliser. Des paysages uniques, inoubliables, marquent encore nos esprits. Rare sont les lieux où l’on peut encore rencontrer des peuples authentiques, comme ces nomades isolés dans des vallées sans nom. Mais il faut se dépêcher. Cette vie grégaire et dure, qu’acceptait les ancêtres ne sont plus pour les nouvelles générations, éduqués dans les vallées, et il ne faudra que quelques années pour que la vie des nomades du Changtang soit définitivement perdue.
C’est maintenant qu’il faut aller au Ladakh, rencontrer ces gens, s’émerveiller devant leurs traditions, s’étonner de leurs conditions de vie, et partager un moment exceptionnel.
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